Une certaine banalisation a marqué les stations.
Depuis les démarches commerciales des années 80, l’habiter en vacances se réfère à des mythes de dépaysement et des stéréotypes s’identifiant facilement et utilisés de manière récurrente comme support de communication : la nature sauvage, la vie saine, le bon air, la tradition, le folklore, le sport extrême et l’activité ludique, les grands espaces… Ces éléments de marketing ont perdu leur capacité à faire rêver et sont tombés dans la banalité.
Aujourd’hui, les singularités très marquées des origines sont des éléments d’attractivité
L’aventure de la montagne et de la création des stations, bien que récente, présente les caractéristiques de sagas humaines passionnantes, de prouesses techniques et porte l’élan de la société du XXe. Suite à l’éclatement du cadre urbain, on assiste à un regain d’intérêt pour les histoires fortes, sans concession au folklore.
Ainsi, des visites sont organisées à Flaine, à Avoriaz, aux Arcs qui rencontrent un succès croissant. De nombreuses publications sur le sujet connaissent une diffusion importante et un segment de clientèle choisit délibérément d’habiter dans du Breuer, du Labro, du Perriand…
Les stations de ski prennent conscience de leur caractère patrimonial, de leur originalité fondatrice, de leurs qualités esthétiques et structurelles. Des programmes importants voient le jour pour adapter le parc existant, recréer des lits et élargir l’offre de services autour du bien-être et de la remise en forme. L’apparition de bâtiments nouveaux pose la question de leurs inscriptions en rupture ou en continuité de l’existant.
À cet égard, deux exemples peuvent nous faire réfléchir : Avoriaz en conservant le même tandem promoteur-architecte depuis quarante ans, a garanti une homogénéité de la station qui suscite une notoriété croissante. La station de Flaine, en opérant un retour au concept initial, redonne sa place au béton brut dans plusieurs réalisations récentes ou en cours en s’inscrivant dans la pensée de Marcel Breuer…
Pourtant des questions se posent
Fin mai, a eu lieu une vente consacrée à Jean Prouvé dont les pièces maîtresses sont deux refuges de la commune de Pralognan-la-Vanoise (Savoie). Construits en 1974 par Guy Rey-Millet, architecte de l’Atelier d’architecture en montagne, en collaboration avec Jean Prouvé, ils bénéfcient du label XXe. Situés à 2516 m au col de la Vanoise, ils ont remplacé l’ancien refuge en pierre dont l’inertie thermique rendait l’utilisation difficile en hiver. Les nouveaux refuges montés sur une structure métallique utilisent les panneaux “Matra” mis au point par Prouvé et déjà testés en 1970 au refuge des Evettes en Maurienne.
Au delà de la fonctionnalité et de la modernité, ces refuges témoignent d’un rapport spécifique de l’homme à la montagne. Jusqu’au milieu du XXe siècle, construire en montagne nécessitait la mobilisation de la pierre sur place et l’acheminement de matériaux depuis la vallée. La conception simple, simpliste même, consistait à transposer en altitude l’habitat de la vallée.
L’essor de l’alpinisme et l’évolution des techniques ont stimulé la réflexion des architectes afin de minimiser l’impact sur le milieu. Ainsi les refuges de la Vanoise, préfabriqués héliportés et montés sur des plots, sont à l’unisson de la précarité de la présence humaine à cette altitude. La posture n’est pas celle d’une pseudo insertion dans le paysage mais plutôt d’une installation momentanée. Le randonneur n’étant que de passage, l’abri répond à un besoin élémentaire tout en étant parfaitement étranger à son environnement, comme l’est l’homme dans ce milieu.
Le Parc de la Vanoise et le Club alpin français, en décidant de les démonter pour construire un nouveau refuge “en dur”, abandonnent ce propos pour consacrer l’arrivée de l’urbain en montagne…
Le démontage procède de la logique constructive initiale de réversibilité mais la disparition de ces refuges de la scène montagnarde est une perte patrimoniale importante. La vente de ces bâtiments comme objets montre que le XXe accède aux marchés de l’art et donc à la spéculation.
Cet évènement est à rapprocher d’un autre survenu l’année dernière à Courchevel qui a vu le démontage du “chalet à pattes”, réalisation de Denys Pradelle, emblématique des débuts de la station. Une instance de classement a empêché sa disparition mais pas sa déconstruction. Depuis plusieurs mois des caisses contenant les morceaux de ce bâtiment attendent qu’un terrain soit choisi pour reconstruire cette architecture dont la caractéristique majeure était d’être une réponse ajustée à un site.
L’héritage architectural du XXe siècle en montagne semble difficile à assumer. Ici, la confrontation aux architectures d’hier stimule les projets d’aujourd’hui, ailleurs le démontage des bâtiments témoins de l’intelligence des architectes pionniers, dont certains sont encore en vie, est un choc.
Arnaud DUTHEIL
Directeur du CAUE de la Haute-Savoie